Le philosophe et mathématicien Antoine-Augustin Cournot s'interroge dans son Essai sur les fondements de nos connaissances et sur les caractères de la critique philosophique (1851) sur ce qui constitue une science.
Dans l'extrait ci-dessous, il s'interroge sur ce qui a poussé Kepler à changer la conception qu'on avait des trajectoires des planètes à son époque (on pensait qu'elles suivaient des trajectoires par cercles combinés). Qu'est-ce qui nous pousse à préférer une hypothèse à une autre ?
Extrait :
Ainsi, lorsque Kepler eut trouvé qu’on pouvait représenter le mouvement des planètes, en admettant qu’elles décrivent des ellipses* dont le Soleil occupe un des foyers, et qu’il eut proposé de substituer cette conception géométrique aux combinaisons de mouvements circulaires [...] dont les astronomes avaient fait usage jusqu’à lui (guidés qu’ils étaient par l’idée d’une certaine perfection attachée au cercle, et qui devait correspondre à la perfection des choses célestes), sa nouvelle hypothèse ne reposait elle-même que sur l’idée de la perfection ou de la simplicité de l’ellipse, d’où naissent tant de propriétés remarquables qui avaient dû attirer l’attention et exercer la sagacité des géomètres immédiatement après les propriétés du cercle. En effet, le tracé elliptique ne pouvait relier l’ensemble des observations astronomiques que d’une manière approchée, tant à cause des erreurs dont les observations mêmes étaient nécessairement affectées, qu’en raison des forces perturbatrices qui altèrent sensiblement le mouvement elliptique. [...] pour regarder le mouvement elliptique comme une loi de la nature, il fallait partir de l’idée que la nature suit de préférence des lois simples, comme celles qui nous guident dans nos spéculations abstraites ; il fallait trouver dans la contemplation des rapports mathématiques des motifs de préférer, comme plus simple, l’hypothèse du mouvement elliptique à celle des mouvements circulaires combinés. Or, de tout cela, il ne pouvait résulter que des inductions philosophiques plus ou moins probables [...] jusqu’à ce que la théorie newtonienne, en donnant à la fois la raison du mouvement elliptique et des perturbations qui l’altèrent, eût mis hors de toute contestation sérieuse la découverte de Kepler et ses droits à une gloire impérissable.
Antoine-Augustin COURNOT, "De la probabilité philosophique.- De l’induction et de l’analogie, Essai sur les fondements de nos connaissances et sur les caractères de la critique philosophique (1851), Hachette et Cie, 1912, p. 59-60.
*ellipse : une ellipse ressemble à un cercle qui a été étiré ou aplati ; en termes de géométrie et d'astronomie, se dit d'une courbe qu'on forme en coupant obliquement un cône droit par un plan qui le traverse
Questions :
1. Pourquoi les astronomes avant Kepler pensaient-ils que les planètes suivaient une trajectoire circulaire ? Est-ce un motif scientifique de préférer une hypothèse à une autre ?
2. D'après Cournot, qu'est-ce qui a poussé Kepler à préférer l'hypothèse du mouvement elliptique ?
3. Pourquoi les observations astronomiques ne pouvaient-elles pas vérifier définitivement l'hypothèse de Kepler ?
4. À quel moment la découverte de Kepler a-t-elle finalement été considérée comme une vérité scientifique ?
Synthèse : À partir de vos réponses, expliquez en quoi le travail scientifique qui cherche à définir des lois de la nature ne se fonde pas uniquement sur des observations, mais est aussi guidé par la recherche d'une explication la plus simple possible d'un ensemble de phénomènes.
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